A l’heure où l’on nous assène que le spectacle vivant est en train de mourrir, il reste encore quelques irréductibles amateurs de musique prêts à faire des bornes pour voir sur scène un artiste qu’ils chérissent tout particulièrement. Avec Ewa on a fait Montpellier – Paris pour aller applaudir Bakar au Bataclan le 25 Novembre… La déception a été à la hauteur du nombre de kilomètres parcourus.
Pourtant à priori, on partait conquis. Bakar a été notre coup de coeur en 2022 avec son superbe album Nobody’s Home, un mélange moderne et ultra classe de musiques urbaines et de rock alternatif. On avait qu’une hâte: voir ce que ça donne en concert.
Nous voilà donc le Jour J, au Bataclan, à 750 kilomètre et 70€ de OuiGo de chez nous. Un énorme tour bus est garé devant la salle. Dans la file d’attente, on entend parler anglais, allemand, espagnol. A 35 ans, on s’amuse de faire partie des plus vieux. Pour beaucoup, ce doit être le premier concert.
On dépose nos manteaux au vestiaire, avant de nous diriger vers le bar. La salle est magnifique. Le Bataclan quoi… ca fait drôle de se trouver là. Bien qu’ayant vécu jusqu’à mes 25 ans en région parisienne, je n’y avais jamais mis les pieds. Ewa non plus. C’était aussi une raison de plus pour venir. Une sorte de devoir de mémoire.
Les places ne sont pas attribuées alors on monte au balcon pour regarder la première partie. Sur scène, la batterie est installée, les amplis chauffent, la basse et la guitare attendent d’être animées. Ca sent le bon vieux concert, « à l’ancienne ».
Les lumières s’éteignent, Ekkstacy débarque. Le groupe joue bien, il y a de l’énergie. Le chanteur a une certaine présence même si la communication avec le public se limite à un « Thank you » à la fin de chaque titre. Le tout me laisse assez froid. Probablement le côté cold wave qui sent un peu trop le réchauffé à mon goût. Je remarque surtout la très bonne prestation de la batteuse. Après un set assez linéaire, le groupe quitte la scène comme il est entré, sans fioriture, après un énième « Thank you. » En nous dirigeant vers la fosse, une anglaise d’une quarantaine d’années partage ses impressions avec nous. Elle, elle a adoré cette première partie. Le son « So good, just like in the 80’s » et les paroles: « I cut my wrists and cry alone », « I wanna die », tellement « profondes et poétiques ». Je me demande encore si elle était sérieuse.
Arrivés dans la fosse, on se rend compte que ça va être compliqué de se frayer un chemin dans la jungle de jeunes gens urbains et branchés venue applaudir Bakar. Faut dire que c’est quand même un des artiste qui est entrain d’exploser sur la scène indé anglaise. La soirée n’affiche pas complet, mais quand même, le public est en rang serré. On est à une dizaine de mètres de la scène. C’est déjà pas mal. Je regarde le changement de plateau et je suis surpris de ne plus voir aucun instrument ou ampli sur scène… Pourtant, de ce qu’on a vu sur YouTube, Bakar joue avec un « vrai groupe » Guitare/Basse/Batterie, c’est d’ailleurs ça qui nous a motivé à monter. Mais là, sur la scène… il n’y a rien… ou presque. Au-dessus du plateau plane une espèce de peau de tambour géante. Ca éveille notre curiosité, mais quand même, l’attente commence à être longue et je me demande quand les techniciens vont s’affairer à installer le reste du plateau. Ce moment n’arrivera jamais.
Les lumières s’éteignent, le public crie sa joie. Les premières note de One In One Out retentissent. L’ombre de Bakar apparait, projetée contre la peau de tambour géant qui sert d’écran. C’est très beau mais ou sont les musiciens? Pourquoi chante-il sur bande? La chanson se termine, applaudissements du public, la peau de tambour géante remonte, Bakar apparait, seul. Désespérément seul…
Le playback du second titre démarre. Je commence à m’inquiéter pour de bon tandis que le public chante en choeur avec l’artiste. Est-ce que tout le concert va être comme ça? Je me retourne vers Ewa, elle me demande ce que j’en pense: « J’attends de voir ce que ça donne avec les musiciens ». Son hochement de tête me fait comprendre qu’elle ne croit pas beaucoup à l’arrivée providentielle de musiciens sortis des coulisses pour venir donner un peu de vie à cette ébauche de spectacle. Une partie de moi refuse d’y croire pourtant. Qu’un artiste en pleine ascension vienne de Londres pour jouer ses chansons sur bandes, dans une salle de 1500 places, pour moi, c’est tout simplement inconcevable. C’est pourtant bien ce qui est en train de se passer.
A la troisième chanson, rien de nouveau. Bakar arpente la scène de droite à gauche, devant un public acquis d’avance. Le show ressemble d’avantage à un défilé de mode qu’à un concert. Bakar étant également mannequin, ça a du sens…
Je regarde autour de moi. Tout le monde semble passer un bon moment. Est-ce que je suis le seul à vivre ce concert comme le pire de ma vie? Je me retourne vers Ewa, elle est aussi dépitée que moi.
A la quatrième chanson. Bakar chante toujours sur bande. Je fais le deuil de ce concert que j’attendais tant: « On s’en va.»
En sortant de la fosse, dans le public plus disséminé, je cherche un allié, quelqu’un qui partage mon ressenti. C’est bête mais j’ai besoin de me rassurer. De voir qu’on n’est pas les seuls à passer un mauvais moment et à avoir ce désagréable sentiment d’être pris pour des cons. Je demande à un gars ce qu’il en pense. Il me dit « c’est cool » d’un air détaché. Je lui demande s’il ne trouve pas ça abusé, qu’un artiste de cette envergure se produise seul sur scène en chantant sur bande. Toujours avec son air de s’en foutre, il me répond, « bein c’est normal, c’est du Rap ». Non, c’est pas normal, et Bakar, c’est pas du Rap, et même si c’en était, ça n’excuse ni n’explique rien! Bordel, n’importe quel artiste qui chante sur une sono pourrie dans le métro ferait l’effort de venir avec au moins un musicien pour l’accompagner sur la scène du Bataclan! Mais non, pas Bakar. Lui, il se contente d’être là. Finalement, tout était dans son entrée sur scène: « Vous vous attendez à un vrai concert? Vous n’en n’aurez que l’ombre. »
C’était il y a un mois et demi. Depuis, Bakar est remonté dans son énorme tour bus dans le cadre de sa tournée Halo qui semble cartonner… et moi, je peine encore à réaliser qu’on a fait tous ces kilomètres et dépensé notre argent pour assister à un triste karaoké.
Photo: Ewa Sawinska